De l’universel au spécifique dans l‘acquisition de la langue maternelle-Une approche émergentiste de la diversité

Notes de lecture : Christine Comin

De l’universel au spécifique dans l‘acquisition de la langue maternelle
Une approche émergentiste de la diversité

Sophie KERN
Chargée de recherches au Laboratoire Dynamique du langage ( Lyon )

Cette recherche menée par Sophie Kern, et qui fait l’objet d’une thèse, concerne les toutes premières étapes de l’acquisition du langage pour en retrouver le mouvement ascendant depuis l’émergence des premières syllabes à celle de la grammaire.

Les enfants ont, pour la plupart, une démarche ascendante en acquisition du langage. Ils commencent par produire des sons isolés, puis ce sont des syllabes, des mots, et des phrases. A l’âge scolaire ils produisent des discours, c’est-à-dire des énoncés agencés de manière cohérente et en se rapportant à un seul thème. Les enfants gèrent alors des contraintes communicatives, discursives et linguistiques au cours de la production d’un récit. Le langage est seul capable de formuler des idées et de les transmettre à d’autres personnes. Il est l’élément fondamental de la personnalité d’un individu et de son épanouissement dans la sphère personnelle et inter-personnelle. La littérature scientifique ( aux méthodes statistiques comparatives ) montre qu’il existe un lien entre les conditions socio-économiques, les problèmes de santé et de bien-être des individus.

C’est au cours des trois premières années de la vie que l’on observe les plus grandes différences inter-individuelles dans le développement du langage en terme quantitatif et qualificatif, et selon les facteurs endos et exogènes. Les capacités perceptives des enfants sont sous influence de la langue maternelle dès les premiers mois de la vie. Les corpus enregistrés pour cette recherche sont ceux d’enfants de langues différentes : le flamand, le français, le roumain, le tunisien, le turc et l’anglo-américain. Les échantillons concernent des enfants de 8 à 30 mois.

Les fondements théoriques

2 théories dominantes s’opposent :
l’ « inside-out » Chomsky, Pinker définissent le développement du langage comme contraint par des prédispositions biologiques innées. Le langage se développe indépendamment de la cognition. L’enfant possède les règles de la syntaxe dès le plus jeune âge. Le bain langagier n’est qu’un déclencheur à l’externalisation des prédispositions innées de l’enfant à la parole.
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l’ « inside-in » décrit notamment par Brunner ( 1996 ). Il affirme que le langage est une compétence comme une autre, qu’il se développe en inter-action avec d’autres compétences cognitives générales. Les enfants apprennent à parler en s’appuyant sur l’environnement linguistique , en particulier celui des parents qui les considèrent comme des partenaires sociaux à part entière.
Les parents utilisent de manière spontanée un registre particulier qui vient compenser la pauvreté du stimulus émis par l’enfant ; certaines unités du langage, accentuations, répétitions, évoluent vers des unités qui deviennent saillantes, lesquelles sont mises en avant. Les enfants apprennent à parler guidés par les comportements particuliers de leurs parents.

Il existe ACTUELLEMENT une nouvelle vague de théoriciens « les émergentistes » apparue dans les années 2OOO, ce sont Elman, Bates, Johnson, Mac Winney.
Le langage est à la fois le produit de processus biologiques et environnementaux. Les enfants sont considérés comme des statisticiens capables de remarquer des régularités statistiques et distributionnelles parmi les sources; ils repèrent les noms grâce à des appuis structuraux ( position dans l’énoncé ) et acoustiques réguliers ( accentuation marquée ). Il existe une prédisposition innée à extraire des informations pertinentes dans les données. Le développement du langage est façonné à la fois par des contraintes bio-mécaniques communes à tous et par l’imput procuré par son environnement. Le bio-mécanique a une place importante au début, l’environnement, quant à lui , laissera sa trace progressivement. Le lieu, le moment, les personnes jouent un rôle important sur les comportements verbaux des enfants.

Mots et gestes apparaissent entre 8 et 16 mois.
Mots et phrases apparaissent entre 16 et 30 mois.

Le babillage

Il existe une continuité entre le babillage et les premiers mots. Le babillage a un caractère prédictif, il a les mêmes tendances préférentielles que la langue maternelle. Autrefois, le babillage était décrit comme une suite de sons aléatoires et très variés (1941-1968 ). A partir de 1980, on parle d’une continuité entre les sons et les premiers mots en terme de fréquence et d’organisation temporelle. Le babillage est un moment clé, s’il est retardé , l’acquisition du langage ultérieur est retardé. La syllabe ouverte consonne/voyelle est une unité typique des langues du monde et du babillage; il en est de même pour le couple consonnes orales/consonnes nasales.
Il existe une période de pré-babillage où les sons sont essentiellement végétatifs et réflexifs ( digestifs ). Le babillage entre 6 et 8 mois est constitué par l’alternance de consonnes et de voyelles réalisée par l’ouverture-fermeture successive de la mandibule accompagnée de phonation. Il existe 2 types de babillage: la répétition ( papa ), et la variation ( pati ). On observe des préférences au niveau du phonème utilisé et des associations: labiales-nasales-occlusives ( p/m/d/n ).
Les premiers mots

Il n’y a pas de langue sans mots. Les adultes utilisent 20 à 30 000 mots. Le lexique se développe et s’enrichit de l’acquisition de la grammaire et plus tard de la lecture. Il se développe rapidement entre 12 et 24 mois. Les premiers signes de compréhension apparaissent entre 8 et 9 mois, et les premiers mots vers 12 mois. La compréhension est liée au lien entre la forme sonore/ une personne/un objet. D’abord elle est contextualisée, puis extra-contextualisée vers 12 mois; l’enfant utilise alors des régularités prosodiques et phonologiques, sémantiques et syntaxiques.
Clark en 1993 publie le tableau suivant:
10 mots à 12 mois
50 mots à 16-18 mois
300-400 mots à 24-30 mois
14 000 mots à l’entrée à l’école

Au début le développement est lent puis il y a une explosion lexicale. A l’initiale le langage est utilisé de manière pré-lexicale, performative, non référentielle, ensuite, après l’explosion lexicale, l’utilisation est cohérente, catégorielle et conventionnelle. Peu après, les enfants combinent les mots, et les onomatopées sont de moins en moins présentes. La syntaxe apparaît vers 24 mois. Ce sont d’abord des noms, il existe en effet un biais nominal universel dans les premières acquisitions lexicales. Certains enfants utiliseront très tôt des verbes et des termes relationnels.
L’explosion lexicale a :
un lien avec le développement conceptuel, les enfants connaissent les propriétés perceptuelles et fonctionnelles des objets. Cette maturation a pour conséquence le développement de la capacité à catégoriser les objets du monde. Corrigan Lifter Bloom
un lien «  spontané » à catégoriser les objets du monde. Mervis Bertrand 1994
L’explosion lexicale est complémentaire des explications conceptuelles ( catégorisations ) sur les versants productif et perceptif.
Il existe des différences développementales liées au sexe, au rang dans la fratrie, et à l’environnement. Les filles précèdent les garçons, les puinés précèdent les plus jeunes. Le lien le plus clairement identifié est celui de l’environnement parental.
Complexification et diversification touchent le système phonético-phonologique et les aspects sémantiques et grammaticaux. Le vocabulaire réceptif et productif comprend majoritairement des items de bruits bruts d’animaux, de noms de jeux et comptines, de noms d’objets; en fait tout ce qui appartient à l’environnement immédiat et qui va se diversifier avec l’âge et l’extension des centres d’intérêt.
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Certaines langues favorisent l’apprentissage des noms, comme le français, d’autres des verbes, comme le turc.

En guise de conclusion:
Il existe une continuité entre le babillage et les premières productions sonores ayant un sens. Du babil aux premiers mots, les enfants sont soumis aux contraintes articulatoires bio-mécaniques, du plus aisé au plus dynamique. Au moment de l’explosion lexicale, ils se libèrent de ses contraintes ( lié à la maturation neuro-motrice ) .
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Christine Comin