Quelques repères théorico-cliniques

Certains enfants psychotiques sont enlisés dans d’infinies répétitions. En PRL, nous sommes secrétaire d’une rencontre où chacun s’inscrit, à sa mesure, introduisant ainsi une scansion dans le silence, toujours présent.

« Il n’y a pas tant de différences entre les personnes autistiques et les autres, le normal et le pathologique, mais un continuum. »
Jacqueline Berger dans « Sortir de l’Autisme », Editions Buchet-Chastel

La répétition se définit comme la marque de l’impossible métaphorisation de l’espace symbolique. La relève, qui apporte un signe pour un autre signe, n’a pu se réaliser, le refoulement non plus.

Les infinies répétitions auxquelles nous pensons ici : balancements, marmonnements, écholalies, les conduites d’auto-mutilations s’originent dans le premier pas constitutif de l’introduction au langage, au temps où l’enfant conserve la trace de la disparition du vécu sensitif originel ( le bouquet primitif ) en contremarquant cette perte par un signe : « l’empreinte ».
Ce principe fut posé par S.Freud. Il a soutenu les élaborations ultérieures de Mélanie Klein, et, dans sa continuité celles de F. Tustin, E. Bick, W.R. Bion, Geneviève Haag.

Ainsi, ce signe rudimentaire est relevé par un autre signe et cette métaphorisation est à l’origine de l’espace symbolique, de l’apparition des premiers signifiants. Dans la psychose, se constitue un phénomène de langage, dans lequel l’objet et la représentation de l’objet sont rivés l’un à l’autre, sans écart, sans perte. L’enfant fait appel à un autre morceau de corps au titre de substitut du morceau de corps perdu.

Le premier fond de langage fait de marquages primitifs, désigne une impression rudimentaire des sensations qui va s’accomplir chez l’enfant psychotique sans médiation, ni distance.
Une relation de langage nuancé ne peut s’établir que si le sens surgit d’entre les mots, dans le contraste. Validée par D.Winnicott, l’attention de la mère joue un rôle essentiel dans cette opération car elle donne au portage physique du bébé , le porter-parler, la valeur psychique de liaison des morceaux épars de son corps. Les « bruts sensoriels » de l’enfant sont « digérés » par la mère, parce que son appareil psychique rudimentaire n’est pas en mesure de l’absorber, de le contenir.
La séparation du bouquet sensitif primaire, décrit par les cliniciens, est métaphorisée, métabolisée par un signifiant ( un mot, une caresse, un sourire ). Le signe ne remplace pas l’objet mais il vient en place de l’absence de l’objet.
Si l’attention vient à s’éteindre, l’enfant est abandonné à une chute sans retour, sans refoulement, ni suppression mais seulement des expulsions.
Léo Kanner parle d’un accueil manqué à leur venue au monde. Donald Meltzer considère la position de repli prise par l’enfant en réaction à cette défaillance, comme une subjectivité en actes.
Dans la normalité, le trou ( la vacance ) »halluciné » laissé par la perte de l’objet, est presque immédiatement bordé, pansé, colmaté par du signifiant : le regard de la mère, une mélopée apaisante…
Si la langue d’un enfant rentre et sort indéfiniment comme les excréments ou des bulles de salive qu’il résorbe, cet enfant n’a pas trouvé chez l’Autre de lieu pour accueillir les premiers signes qu’il avait lui-même produits. Dans un élan vain, il retombe éternellement sur lui-même.

L’enfant reste seul avec lui-même, enlisé dans des phénomènes de répétitions indéfinies, causés par la carence d’un embrayage scriptural.
La première relève est dévolue à la rêverie maternelle.

Dans son exposé René Péran parle de traces d’inconscient profond, « mémoire sans souvenir » pour Green, qui sont l’objet de la compulsion de répétitions. La pulsion soumise à répétition compulsive tente de rassembler, par contiguïté et par simultanéïté , les traces perceptives de l’inconscient profond pour les organiser en représentations proprement dites.
Cette défaillance identitaire scripturale produit chez ces enfants le sentiment de non-discrimination entre les limites de leur corps et celles du monde. Leurs conduites de « suppléance » ( bordage, serrage,enveloppement ) sont chargées de pallier au défaut de constitution du noyau symbolique interne, condition de la distinction moi/non-moi.
Comme les formes, les objets autistiques, décrits par F. Tustin, naissent d’activités auto-sensuelles, ils interviennent dans l’économie défensive de l’enfant au titre de ces substances corporelles. L’objet se suffit à lui-même, il n’enclenche rien, n’appelle que lui-même. La sensation est élevée au rang d’objet : le chaud-le rugueux-le rectiligne. Il n’y a pas de réunion, les autres qualités sensorielles de l’objet sont ignorées. La sensation reste irréductible à tout procès de dialectisation pour constituer la perception. L’enfant est pris dans une ré-itération indéfinie, à l’identique.
Les pratiques répétitives des enfants sont des tentatives réitérées et toujours vaines d’effectuer un embrayage pulsionnel, tel qu’il s’effectue modestement aux origines de la vie, procès réalisé ici sur un objet corporel matérialisé.
Ces conduites deviennent l’expression de la volonté de ces (petits) sujets de forcer l’accès au champ du langage comme un rappel douloureux adressé à l’Autre.

Les productions symptomatiques relèvent du champ du langage même si c’est à la lisière du champ du langage.

Pour qu’une impression fasse trace il faut qu’elle trouve un lieu pour l’accueillir.
Cl Chassagny disait, je le cite :
PRL est d’abord l’accueil de tous les modes d’expressions choisis ou qui s’imposent à un enfant et, ce, en toute absence de regret ( pour le thérapeute ). Notre projet est surtout celui de la tolérance.
En PRL, il s’agit de débusquer les signes, les interstices dans lesquels se glissent les non-dits, sinon il y a répétition. Il s’agit de justifier le fait d’être là, représenter la différence.
Une observation attentive et bienveillante des indices livrés par la clinique permet de reconstituer un univers sans temps, sans espace, sans intériorité, qui n’apparaît plus ni absurde, ni inhumain.
L’acte PRL est : recevoir, accueillir du sens en soi, faire de la ligne, de la limite pour être d’un côté, pour faire de l’espace, faire exister un espace symbolique qui a été mis en échec, intérioriser de l’autre en soi pour qu’il advienne comme sujet, dialectiser les contraires sur un même objet, accorder un crédit anticipé de sens au symptôme.
Il s’agit de constituer une boîte qui joue le rôle de réceptacle des premiers signes sensitifs de l’enfant, normalement assuré par l’Autre maternel.

Christine Comin, orthophoniste, Formatrice à l’ itecc

Éléments bibliographiques
  • S.Freud « Pulsions et destins des pulsions » in Métapsychologie Gallimard 1989
  • « L’homme aux loups » in Cinq Psychanalyses Puf 1975
  • D.Winnicott « L’enfant et le monde extérieur » Payot 1975
  • B. Bettelheim « La forteresse vide » Gallimard 1969
  • Frances Tustin « Les états autistiques chez l’enfant » Seuil 1986
Témoignages cliniques
  • Temple Grandin « Ma vie d’autiste » Odile Jacob 1997
  • Dona Williams « Si on me touche, je n’existe plus » J’ai Lu 1993