L’enfant et la peur d’apprendre

C’est par hasard que Serge Boimare s’est mis, un jour de désespoir à lire des contes à des enfants qui refusaient d’entrer dans les apprentissages. Il ne savait pas encore qu’il se trouvait au début d’une quête, d’un cheminement qui allait se construire au cours des années avec ses élèves, pour les accompagner vers la route de la réconciliation avec les apprentissages.

Se pose la sempiternelle question de ces enfants qui refusent les apprentissages. Serge Boimare recherche une autre explication que celles apportées habituellement pour expliquer l’échec scolaire; selon lui il ne peut s’expliquer uniquement par des problèmes d’effectif, de méthodes, de formation d’enseignant… Serge Boimare note que pour beaucoup, l’échec scolaire est associé à des troubles du comportement, dont l’apparition semble liée aux dits problèmes : « certains troubles sont réveillés spécifiquement par la situation d’apprentissage et semblent avoir pour fonction de la pervertir ou de lui « échapper » ». La situation d’apprentissage est refusée par l’enfant car elle met en péril une organisation psychique fragile, qui induit des angoisses très violentes et envahissantes. D’où l’énergie et les stratégies d’évitement (que nous avons tous pu observer) mises en œuvre par certains enfants pour s’y soustraire ; ce qui conduit à des situations de non-apprentissage, de sidération intellectuelle, des rejets violemment et souvent grossièrement exprimés…

Serge Boimare propose de donner des moyens à ces enfants pour leur permettre de faire face à leurs angoisses, à leurs peurs. Comment ? En utilisant un média culturel, artistique, littéraire – notamment par la lecture de contes et de récits mythologiques – comme point de départ du travail. L’utilisation de ces supports va permettre d’évoluer vers une représentation/concrétisation de ces peurs anciennes et archaïques. La symbolisation de ces peurs va permettre une mise à distance et une confrontation possible. L’effet attendu étant que l’enfant puisse dépasser ces peurs, ces angoisses qui surgissent toujours en situation d’apprentissage, à un moment bien précis. C’est ce que Serge Boimare nomme « le moment de suspension », celui qui survient forcément lorsque l’enfant est en cours d’apprentissage d’un nouveau savoir. Ce temps est nécessaire à l’enfant pour réfléchir, comprendre et assimiler cette nouvelle connaissance. Chez beaucoup d’enfants en échec scolaire, c’est au cours de ce moment que surgissent des angoisses, des peurs archaïques qui vont envahir l’enfant et l’amener à rejeter les situations d’apprentissage et la mobilisation de la pensée, la réflexion.

Les craintes qui prédominent dans ces angoisses envahissantes ont souvent trait à l’identité (filiation, place dans le groupe, identité sexuelle…). Elles peuvent être associées à des images crues, des pulsions… Les difficultés rencontrées par les enfants peuvent alors être assimilées à « un brouillard devant les yeux », dont ils ne savent comment sortir. Pour d’autres, l’envahissement pulsionnel (trop-plein psychique) induit le blocage de la pensée (trop vide). La difficulté à faire du lien prédomine.

Comment la médiation culturelle va-t-elle pouvoir être opérante ? D’abord parce qu’elle joue un rôle de pare-feu par rapport aux craintes, ensuite parce qu’elle va donner du sens et de l’intérêt aux savoirs proposés (qui diffèrent des outils d’apprentissage habituellement utilisés qui ne seront pas suffisamment porteurs pour ces enfants pour leur permettre d’affronter leurs angoisses et dans lesquelles une identification ou une projection n’est pas possible. Ces médiations doivent aborder des sentiments troubles (pulsion de mort, jalousie, question des origines…).

Bien entendu, l’utilisation seule de ces médias ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’un cadre éducatif, au sein d’un groupe, régi par des règles connues de tous. Le cheminement de ces enfants est soutenu par le pédagogue et est associé à des situations concrètes d’expression, de mise en commun, par l’intermédiaire de la parole, l’expression écrite ou graphique (dessins…). La présence de l’adulte est alors primordiale pour ces enfants dont il ne faut pas minimiser la souffrance. En effet, elle leur fournit un point d’appui tangible : l’adulte, le pédagogue qui va les accompagner dans cette quête, dans laquelle ils ne cheminent pas seul. Ils auront un soutien, un médiateur, quand les peurs, les troubles du comportement se manifesteront.

Serge Boimare décrit plusieurs types de comportement qui peuvent se manifester chez ces enfants en échec scolaire :
• Limite de l’outil intellectuel (instabilité psychologique, déficit des repères identitaires, pauvreté des stratégies cognitives…)
• Comportement par rapport à l’apprentissage : incapacité à supporter la frustration, difficultés à trouver la bonne distance par rapport à celui qui détient l’autorité ; évitement…

Ces comportements résulteraient pour certains d’une défaillance éducative précoce (cadre de vie insécurisant, marqué par la désorganisation et la dispersion…), notamment l’incapacité de certains parents à initier leurs enfants ou imposer l’épreuve de la frustration. Ces premières expériences d’apprentissage auraient donc été source d’angoisse et amèneraient ces enfants à croire que l’exercice de la pensée représente un danger potentiel.

La solution consisterait donc à symboliser ces « questions brûlantes et ces inquiétudes » contenues, pour permettre à l’enfant de les mettre en forme et de les éloigner. La nécessité pour le pédagogue résidera donc dans l’élaboration d’un support et la définition d’un cadre pour permettre « le passage de l’abstraction à la règle » et de s’en servir ultérieurement pour aborder les apprentissages.

Serge Boimare nous présente différents enfants avec lesquels il a été amené à travailler. Guillaume ne peut affronter la frustration et le doute, pourtant moteurs du fonctionnement intellectuel, car le manque induit chez lui des idées de persécution, de violence…). Très sportif, les muscles, l’idée de performance est assimilée chez lui, à l’instar d’Héraclès, à l’image d’une carapace, qui le protégerait des idées de l’Autre. Il trouve dans les récits de Jules Verne, notamment dans la scène des anthropophages une symbolisation de ses peurs et grâce à l’accompagnement des héros de l’histoire et de ses camarades ensuite, il trouve un moyen d’exorciser sa peur.
Gérard ne manifeste aucune envie d’apprendre, de savoir. Les liens qui existent entre sa propre histoire et celle de ses difficultés sont très étroits. Pour se conforter à la version apportée par sa famille, Gérard a du annihiler sa curiosité, son droit à la connaissance et au fonctionnement intellectuel. C’est en cheminant vers le « centre de la Terre », que Gérard va progressivement s’autoriser à penser, à s’exprimer sur ses peurs et ses émotions.

Par l’intermédiaire d’Héraclès, Serge Boimare définit plusieurs étapes nécessaires pour retrouver la curiosité et le courage de penser :
• rencontrer ses peurs (par l’intermédiaire d’un média, avec le soutien du groupe et du pédagogue)
• rencontre avec la féminité (aborder des questions qui touchent à la partie la plus intime de l’être, sur les questions identitaires, accepter la « castration symbolique » imposée par la pensée), pour pouvoir déposer la carapace
• faire en sorte que les liens intérieurs/extérieurs puissent alors se formuler et se nouer
Toutes ces étapes ne pouvant s’inscrire que dans un cadre rigoureux avec des repères et des lois clairement identifiés et connus de tous.

Les exemples et les supports abondent dans l’ouvrage de Serge Boimare, avec un objectif commun : réussir par l’intermédiaire d’un média, à apporter à l’enfant confronté à des angoisses induites par « le temps de suspension », un moyen propre à lui permettre de les affronter et les dépasser pour retrouver la possibilité de penser en « toute sécurité ».

Par Maud Fouchet, orthophoniste PRL